L ‘inspec – skieur Bolonco
Dans son dos les serrures ont claqué lorsqu’il pressa la clé de fermeture centralisée des portières. Deux éclats oranges suivirent en illuminant brièvement la rue, puis tout replongea dans le noir le silence et le froid. Il s’éloigna lentement de la voiture, le sac qu’il portait lui parut anormalement lourd.
Il nota mentalement dans sa tête : samedi : traversée de la grande rue à six heures du matin… rencontré personne… froid vif… Des mots qu’il consignerai dans le carnet de route dès son retour… si tout se passe bien. Il se mit à penser au retour… Basta ! dit-il tout haut pour éloigner les chimères.
Tout semblait endormi dans le village, mais il eut l’impression que son départ n’était pas passé inaperçu. Il se sentait observé derrière les lourds volets en bois de mélèzes : simple intuition, mais avec l’expérience et l’âge elle ne l’avait jamais trompé. Il accéléra le pas dans le vent froid et humide, puis machinalement remonta le col de son blouson, tandis que la main triturait nerveusement les clés au fond de sa poche gauche. Il avait mal dormi, on le sentait soucieux. C’est ce coup de téléphone tard dans la soirée, qui avait tout déclenché. Les dernières nouvelles n’étaient pas bonnes. Peut-être avait-il fait tout ce déplacement pour rien. C’est ça qui l’inquiétait. « … Si tu ne le sens pas, tu peux laisser tomber… » avait dit la voix au téléphone. « … fais gaffe quand même, ce n’est pas une mince affaire, ne prend pas de risque… » avait rajouté la même voix. Cette dernière phrase l’avait mis en rogne. Et merde ! On me prend pour un débutant qu’il avait répondu, c’est facile de donner des conseils quand on a les pieds au chaud et le cul enfoncé dans le velours d’un fauteuil. Tu sais que je suis décidé ! avait-il répondu, je ne suis pas venu ici pour rien, j’irai vérifier toutes vos fameuses hypothèses sur le terrain ! Puis agacé, il avait raccroché.
Au bout de la rue démarraient deux pistes, dans un croisement en patte d’oie. La blancheur du manteau neigeux éclairait suffisamment, il n’eut pas besoin de sortir sa lampe frontale et remarqua tout de suite quelques traces partant à gauche. Il s’accroupit pour chausser son matériel, tout en examinant de plus près les empreintes dans la neige. Un léger sourire détendit son visage fermé. Il se retourna lentement, geste habituel du taciturne qui vérifie toujours s’il est suivi.
Personne ! … Apparemment personne.
Ça l’aurait soulagé d’apercevoir que…. mais peut-être est-ce mieux ainsi. Lui c’est le genre de gars habitué à mener son affaire seul, discrètement, sans importun dans ses pattes. Ce ne sera pas la première fois qu’il irait jusqu’au bout et aujourd’hui il veut démontrer, que toutes les hypothèses sont fausses.
Il savait que la clé du problème était plus loin, enfin disons plus haut… là-haut.
Les premiers indices étaient révélateurs : traces fraîches, le nombre d’empreintes de rondelles des bâtons de skis dans la neige signifiait qu’un seul individu était parti devant. Les marques profondes des skis dans le chemin, montré qu’il était chargé, il progresserait donc lentement.
Dans le bois de bouleau, la trace coupait curieusement en diagonale, sans suivre les lacets du chemin. Il pigeât la tactique du skieur, et comprit à quel type d’homme il avait affaire. Il n’avait plus qu’à le suivre, le gars avait peut-être une heure d’avance…. Mais pourquoi était-il parti si tôt ? Il devait bien y avoir une raison ! Il s’arrêta pour souffler un peu et chercher une solution à cette énigme. Puis il reprit sa marche, au rythme binaire des spatules guidées dans les deux rails fraîchement tracés. Plus loin, il franchit une frontière virtuelle : un panneau indiquait l’entrée du Parc. Il ne s’arrêta pas pour lire ce qu’il connaissait par cœur : une longue liste d’interdits et « Comment se comporter à l’approche de la faune de haute montagne » .
Le corps échauffé, le poids du sac ne le gênait plus. Il avançait régulièrement, sans intention de rattraper, il gardait de la distance en attendant que le jour pointe son nez.
Au sortir de la forêt, quand les derniers mélèzes chargés de neige, laissent place au vallon, aux pentes blanches et vierges, il eut une surprise. La trace partait franchement à droite, dans une traversée qui se voulait sûrement contourner un éperon rocheux. Au loin, celui-ci était nettement visible, malgré la brume du matin qu’un vent froid balayait par moment. L’itinéraire n’était pas logique, il lui sembla que cette trace menait vers un cul de sac, vers le piège de pentes exposées…. Ou bien alors un passage insoupçonné que ne montre pas la carte au 25 000ème. Un secret que gardent jalousement les skieurs indigènes. L’évidence pour lui, semblait de suivre le vallon qui accède au sommet par la gauche. Le mystère, c’était cette trace par la droite. Inexplicable mystère. Il ne se posa pas de questions métaphysiques. Il savait que la galère c’est faire sa trace seul par la gauche dans la neige fraîche et que la facilité, la paresse, c’est prendre à droite.
Il prit à droite … par curiosité. Il voulait découvrir où menait ce chemin inexplicable et savoir aussi pourquoi l’homme était parti si tôt . Il suivit donc une longue traversée qu’il trouva à son avis un peu exposée aux avalanches. La suite continuait dans un court et étroit couloir un peu raide où apparaissait nettement la trace. Nombreux zig zag parfaitement symétrique par rapport à l’axe de la pente, et d’inclinaison régulière. « … c’est pas un débutant le mec ! dit il admiratif… et il a pris une sacrée avance » . Il sentait le sommet proche, c’était un bien joli raccourci, progression entre deux éperons rocheux, bordés de barres suspendues d’où pouvait dégringoler une avalanche les jours de fortes chutes de neige. Raccourci certes, mais joli piège sans échappatoire. Dans ce genre de situation, on accélère le pas, comme si…. solution dérisoire, mieux vaut réfléchir avant de s’engager ici.
Il reprit son souffle au col, le froid lui mordait les oreilles et il réajusta son bonnet pour les protéger. Puis machinalement bougea les orteils dans les chaussures, repliant plusieurs fois ses doigts dans les gants fourrés. Rassuré sur leur état, il reprit sa marche en confiance, tout son corps en osmose avec cette nature sauvage qu’il aimait tant, malgré les éléments hostiles qui s’acharnaient sur lui. La pente moins forte longeait de très près, presque à la toucher une petite barre rocheuse. Par moment le vent se calmait, mais de grosses masses nuageuses bâchaient déjà les crêtes et sommets à l’ouest. L’hypothèse se vérifiait… hélas ! il comprit alors pourquoi le skieur était parti si tôt. Déjà cinq heures qu’il avançait dans la neige. Maintenant il progressait lentement, tel un automate, bizarre zombi dans la bise, fatigué sous la charge du sac, le regard fixé pas plus loin que les spatules de ses skis.
Quand il releva la tête, il se figea dans le mouvement. Son sang se glaça dans les veines, ce n’était pas le froid qui le faisait tressaillir. Non, il ne rêvait pas, à 30 m , l’homme pointait son canon sur lui. Vu d’ici, un gros calibre de chasseur professionnel. Il avait posé son sac près de la croix marquant le sommet. Bien planté sur ses deux jambes, immobile, il prenait tout son temps pour ajuster le tir. Une vision prémonitoire lui plomba le cerveau : la croix du sommet pareille à celle des cimetières et la croix sur l’écran du viseur ou devait apparaître un visage blême, paniqué par la stupeur. Dans sa tête se fit le vide total, comme dans ces films où le silence annonce ce moment fatidique, quand tout va basculer. L’attente dans l’immobilité lui sembla durer une éternité. Puis son sang-froid habituel reprit le dessus : ne pas se laisser impressionner par la situation nouvelle…. aucun geste vif ne doit révéler quelle sera la réponse, reprendre le pas normal pour tromper la confiance … gagner du temps. Ses yeux cherchaient une issue en tournant lentement la tête à gauche, ou plonge la pente raide dans une brume cotonneuse. Puis à droite, tout contre ces rochers qu’il longeait depuis un moment. Son regard fut attiré par quelques paquets de neiges molles qui glissaient lourdement depuis le haut. Il aperçut au-dessus de lui le spectacle providentiel qui éloigna d’un coup, comme un lavabo qui se vide d’un trait, le cauchemar qu’il était en train de vivre.
Il n’entendit pas le tir en rafale, l’homme avait déjà abaissé le canon et lui faisait signe de venir. Au-dessus, les deux chamois pas farouches, gambadaient dans la neige fraîche.
On discuta un long moment en regardant les magnifiques photos qu’il venait de prendre : je faisais partie des 3 acteurs fixés sur les images. Puis il rangea son lourd téléobjectif de professionnels. Ça le fit sourir quand je lui montrais mon petit calibre « Sony » tout en lui précisant fièrement : « …pas encombrant, léger et facile à dégainer de la poche poitrine au dernier moment …. »
On descendit ensemble entre brumes et rafales de vent. Quelques pauses pour reprendre le souffle ou chercher nos traces de montée révélant le relief masqué. Le jour blanc s’installait peu à peu, rendant la descente hasardeuse et difficile.
De retour à la voiture je notais sur le carnet de route :
Samedi : reçu coup de téléphone inquiétant la veille… mal dormi la nuit… traversé le village à 6h, rencontré personne… suivi les traces du mystérieux fuyard…. itinéraire secret, vent froid et vif, évité tous les pièges… stupeur au sommet, redescendu dans le jour blanc après avoir vérifié toutes les hypothèses.
Puis je repensai au coup de téléphone d’hier soir : Lamet Théo, un collègue prévoyant sur qui on pouvait toujours compter.
…. A suivre
les copains retraité, RTT, RSA …n’ont pas suivi, trop pris par les multiples occupations quotidiennes d’une vie laborieuse qu’il faut bien partager avec femme, enfants et petits enfants pour certains…..
Je suis donc parti quelques jours, rejoindre les Grenoblois. Des gens qui, dès la moindre chute de neige, laissent la vaisselle sale s’empiler dans l’évier, le linge de la semaine s’entasser au fond du couloir… pour aller se faire une piquouse de blanche , de la vraie, de la bonne… Tous des accros là bas.
ci joint quelques photos avec le lien ci dessous
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